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CfP : Frontières linguistiques – langue(s) et frontière(s) : L’art de la traduction, dialecte et littérature, plurilinguisme littéraire
Maison de la Recherche, Amphithéâtre F417.
Organisée par Jasmin Berger, Geronimo Groh et Simone Lettner CREG (Centre de Recherches et d’Études Germaniques)
Les récents événements qui secouent l’Europe montrent que le concept de « frontière(s) » est toujours susceptible de susciter des conflits et des tensions. La délimitation des frontières étatiques et des communautés linguistiques offre un point d’orientation culturelle à l’individu et contribue de ce fait à l’élaboration d’une identité et d’un sentiment d’appartenance (ex. Kremnitz 1995). Puisque la frontière définit ce qui nous est familier ou étranger, elle favorise l’action d’exclure l’Autre ou de s’en servir à des fins de différenciation. À la fois moteur d’exclusion et d’inclusion, elle est marquée par la dualité d’ouverture et de repli sur soi. Les conflits actuels qui agitent l’Europe de l’Est exposent à la vue de tous et de toutes que ce n’est qu’en apparence que les frontières constituent une barrière statique et inviolable. En réalité, les frontières ainsi que les facteurs culturels et linguistiques qui les déterminent sont constamment soumis à un jeu de négociations et à diverses pressions. Ce qui, dans le contexte des études littéraires, soulève à nouveau la question des différentes formes de « liminalités » (« Liminalität » ; cf. « Literalität und Liminalität », 2007ff.) et amène à s’interroger sur le rôle joué par les « seuils » (« Schwel-
len »), – une notion que Walter Benjamin distinguait clairement de celle de « frontière » (Benjamin 1982 [1927-1940], S. 618) –, pour étudier les dynamiques de périmétrage, de contamination et de transgression.
Le déplacement, la redéfinition et la dissolution des frontières sont un véritable défi sociétal qui s’accompagne généralement de différents phénomènes de crise ou d’une perte d’identité. La littérature peut alors offrir un soutien intellectuel et moral, elle permet de construire un rapport productif et esthétique à l’expérience traumatisante du franchissement des limites et des frontières.
Cette journée d’études doctorales souhaite encourager les échanges et débats internationaux et interdisciplinaires autour d’un sujet interculturel. Les contributions en langue française et allemande qui analysent les différentes manifestations du phénomène de « frontière(s) » en fonction de leur champ disciplinaire respectif (linguistique et sciences du langage, études littéraires, historiques et culturelles) seront naturellement les bienvenues. À condition qu’elles proposent une approche littéraire et/ou linguistique, les contributions consacrées aux récents débats socio-politiques et socio-économiques seront tout aussi appréciées. Il en sera de même pour les travaux qui sauront mettre à profit l’orientation historique de la linguistique, des études littéraires et des sciences culturelles pour aborder la question sensible de l’interaction des langues et des frontières à travers l’étude d’époques plus reculées. Compte tenu de l’ampleur et de la complexité que revêt l’interaction des notions de langue(s) et de frontière(s), cette journée d’étude devra s’articuler autour de trois axes thématiques précis :
- L’art de la traduction (traductologie et linguistique contrastive)
- Littérature(s) et dialecte(s) (dialectologie et littérature dialectale)
- Le plurilinguisme littéraire
L’art de la traduction
Bien qu’elle soit une activité naturelle dans la société humaine et qu’elle relève du quotidien pour de nombreuses personnes, la traduction requiert un haut niveau de spécialisation (cf. Kaiser / Kern / Michler 2020). Alors qu’ils / qu’elles sont indispensables aux échanges culturels, les traducteurs et les traductrices opèrent généralement dans l’invisibilité et dans l’anonymat. Ces inconnu.e.s se sont spécialisé.e.s dans l’art de passer, de franchir et de transgresser les frontières pour transmettre des messages d’un monde à l’autre. Cette association classique du rôle du traducteur et de la traductrice à celui du messager ou de la messagère (ex. Kohlmayer 2018) est une référence directe à Hermès, le messager des dieux, et à la notion d’herméneutique qui lui doit son nom. Cela nous rappelle que la traduction est intimement liée à la compréhension, à l’analyse et à l’étude de textes littéraires. Les traducteurs et les traductrices ne se livrent pas à un simple exercice de transposition, ils/elles vivent une expérience de transgression des limites et des frontières. Ils/elles se voient ainsi confronté.e.s aux barrières de la langue (question de la traductibilité) et aux restrictions qui sont imposées à leur liberté d’écriture par ce que l’on pourrait qualifier une « éthique de la traduction » (fidélité au texte source et aux règles de la langue cible). Ce dernier phénomène de limites et de restrictions imposées de l’extérieur soulève la question de la légitimité des différentes instances de
contrôle : Quels sont les éléments concrets qui permettent d’évaluer la qualité d’une
traduction ? Et qui a le droit d’en juger ?
À cet égard, il est important de noter que la traduction littéraire relève ce défi particulier qui consiste à étudier et à préserver la « structure secondaire » des textes littéraires (figures de style, références et associations, ambiguïtés sémantiques et polysémie, etc.) dans la langue cible (voir J. Lotman). Par ailleurs, les différentes conventions culturelles à respecter constituent une difficulté supplémentaire. Puisque l’acte même de la traduction engendre systématiquement un décalage sémantique et lexical par rapport au texte source (traduttore – traditore), le traducteur et la traductrice exercent une influence importante sur la réception de la littérature étrangère et peuvent ainsi jouer un rôle de médiateur ou de médiatrice entre deux sphères culturelles différentes (transferts culturels, Espagne 1999). Dans le contexte des défis lancés par la globalisation, les questions de traduction et de traductibilité sont devenues une partie intégrante de la diplomatie internationale. Cela démontre la présence permanente de la dimension politique de l’usage des langues et rend l’exploration des rapports entre la littérature, la traduction et la politique d’autant plus souhaitable.
Littérature(s) et dialecte(s)
La littérature dialectale ouvre un nouveau champ d’expériences linguistiques qui, en raison de l’absence de normes orthographiques strictes (cf. Schieben-Lange 1973), semble présenter moins de restrictions que la littérature en langue standard. La littérature dialectale fait appel à l’esprit d’improvisation : une langue construite émerge progressivement au fil de la lecture (voir Meisenburg 1985). Une contextualisation précise de ce phénomène qu’est la littérature dialectale saurait revivifier la question autour du prestige linguistique (voir van Parijs 2013) qui émerge bien souvent dans le cadre d’une étude comparative entre les différents idiomes. Il en ressort que le dialecte et la variante standard, ainsi que les différents dialectes entre eux, sont généralement associés à des catégories d’évaluation différentes (cf. Ammon 1983).
Il est à noter que les dialectes occupent une position intermédiaire entre la langue standard et les langues régionales (voir Braselmann 1999 ; Friebertshäuser 2004), ces dernières bénéficient bien souvent d’un meilleur soutien politique (grâce à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires ; cf. Lebsanft & Wingender 2012) et social (associations qui militent pour la défense et la promotion des langues régionales). Il n’en reste pas moins que les langues régionales sont – tout comme les dialectes – menacées (cf. UNESCO 2010).
Il convient aussi de s’interroger sur l’identité des destinataires/destinatrices et sur les différents mécanismes de communication pour proposer une analyse critique de la réception d’ouvrages rédigés en dialecte (œuvres littéraires dialectales et textes contenant des passages écrits en dialecte). Il existe de nombreuses raisons qui expliquent l’usage du dialecte dans un contexte littéraire (voir Ammon 2004), il peut répondre à l’intention de refléter la réalité sociolinguistique, de donner une impression d’authenticité ou de vraisemblance, d’offrir un cadre bucolique au récit, de créer une illusion d’oralité, de mettre en évidence le statut social d’un personnage, d’enrichir la langue d’écriture par des emprunts lexicaux, de générer la sympathie du lecteur/de la lectrice ou encore de produire un effet comique. Certains textes rédigés en dialecte supposent que le lecteur ou la lectrice ait un bon niveau de langue.
Une approche historique de la littérature dialectale offre l’opportunité de se questionner sur ses origines et sa genèse (voir Brundin 2004). L’étude des dialectes transfrontaliers et des langues régionales qui constituent un continuum linguistique s’étendant au-delà de différentes frontières nationales permettrait d’inscrire dans un cadre spatio-temporel l’analyse de ce phénomène complexe. La standardisation des idiomes européens à l’époque moderne et ses effets concomitants tels que l’abandon du dialecte, la lutte contre les régionalismes, l’hypercorrection, le purisme et le séparatisme linguistique peuvent également être analysés (voir Breuer 1978). L’étude du jeu des frontières (voir Border Studies) permet aussi de s’interroger sur la fonction des différents rôles attribués aux dialectes et aux langues dans un contexte socio-politique précis. On peut alors se demander comment le tracé des frontières influence la perception et la catégorisation des différents idiomes et quelles conséquences cela entraîne pour la littérature dialectale.
Le plurilinguisme littéraire
La mondialisation, la migration et, dans une moindre mesure, les phénomènes de digitalisation et de technicisation de la société moderne, ont suscité ces dernières années un intérêt croissant pour le plurilinguisme littéraire dans le monde de la recherche universitaire. La publication d’ouvrages tels que le Routledge Handbook of Literary Translingualism (2022) prouve que ce sujet est devenu une partie intégrante et indispensable de la réflexion scientifique moderne. Mais le plurilinguisme littéraire n’est pas un phénomène nouveau, il repose sur une longue tradition. Dans certaines cultures et dans certaines classes sociales, le plurilinguisme littéraire est quelque chose de parfaitement naturel et ne constitue nullement une exception (voir Blum- Barth 2015, p.11).
Différents processus historiques tels que l’ascension et la chute des diverses langues scientifiques, vernaculaires et/ou internationales (par ex. le passage du latin aux langues vulgaires dans le milieu universitaire, cf. Schmidt/Langner 2013 / Martus 2018), la planification linguistique organisée par les académies et les sociétés philologiques, les mesures prises par des institutions universitaires et scolaires pour endiguer la diffusion des dialectes et des régiolectes (influence des réformes de Humboldt, l’organisation de l’enseignement public obligatoire) ainsi que l’interaction de différents idiomes dans les textes littéraires rédigés dans ces contextes difficiles où le plurilinguisme est une réalité quotidienne (zones frontalières, pays de la couronne, territoires colonisés, terres d’exil et communautés linguistiques minoritaires) pourront également faire l’objet d’une étude approfondie.
Puisque divers facteurs sociopolitiques et sociolinguistiques participent à la construction de l’image de soi chez les locuteurs et locutrices, il est absolument nécessaire d’étudier une langue en prenant en compte celles et ceux qui la parlent. Le plurilinguisme n’accroît pas simplement les possibilités d’identification qui s’offrent à l’individu, il peut aussi être la source de problèmes et de conflits (voir l’essai politico-historique Le monolinguisme de l’autre, Derrida 2016 [1. éd. 1994]). La littérature et les études littéraires ont cherché à s’adapter à l’environnement plurilinguistique dans lequel évolue l’Homme moderne, en témoignent le concept d’une « nouvelle littérature-monde » développé par Elke Sturm-Trigonakis (Sturm- Trigonakis 2007) dont les précurseurs sont Goethe (« Weltliteratur », cf. Lamping 2010) et Rabindranath Tagore. . Ce concept a cependant essuyé de nombreuses critiques, la notion anglo-américaine de Word Literature a ainsi été accusée de produire à nouveau des hégémonies (cf Apter 2013). Le plurilinguisme recèle un potentiel poétique considérable (cf. Bürger- Koftis/Schweiger/Vlasta 2010) puisqu’il favorise la créativité et l’innovation littéraire (par ex. à travers l’emploi de néologismes) et qu’il encourage le fait d’observer le monde de manière multiperspectiviste. L’art de jongler entre différents répertoires linguistiques aiguise la conscience linguistique et éveille la sensibilité pour la poéticité de la langue. L’étude de la notion de frontière(s) offre aussi la possibilité de se consacrer aux frontière(s) établis par différentes institutions. Une attitude positive à l’égard du phénomène du plurilinguisme pourrait conduire à une réflexion critique de l’approche traditionnelle définie par les différentes philologies nationales.
La Journée d’Étude se déroulera en format hybride le vendredi 26 mai 2023 à la Maison de la Recherche de l’université Toulouse – Jean Jaurès. Les langues de la journée d’étude seront le français et l’allemand. Les participant.e.s disposeront de 20 minutes pour leur présentation qui sera suivie d'une discussion de 10 minutes. Les membres du comité d’organisation souhaitent publier les contributions dans un volume.
Les doctorant.e.s ainsi que les jeunes chercheurs et chercheuses sont invité.e.s à nous faire parve- nir leur résumé de contribution d’une demi-page (max. 5000 signes, espaces, notes et bibliogra- phie comprises) aux adresses suivantes avant le 31 janvier 2023 :
jasmin.berger@univ-tlse2.fr, simone.lettner@univ-tlse2.fr, geronimo.groh@univ-tlse2.fr
Le budget de la Journée d’Étude ne prévoit pas la prise en charge des frais de transport de d’hébergement.
Comité d'organisation
- Jasmin Berger (Hochschule Fulda - University of Applied Sciences/Universität Toulouse - Jean Jaurès, CREG), MA MA
- Geronimo Groh (Universität Toulouse - Jean Jaurès, CREG), MA
- Simone Lettner (Paris Lodron Universität Salzburg/Universität Toulouse - Jean Jaurès, CREG), MA BA
Comité scientifique
- Prof. Dr. Matthias Klemm (Fulda Graduate Centre of Social Sciences, Hochschule Fulda)
- Prof. Dr. Jacques Lajarrige (Universität Toulouse - Jean Jaurès, CREG)
- Dr. habil. Hélène Leclerc (Universität Toulouse - Jean Jaurès, CREG)
- Dr. Catherine Mazellier-Lajarrige (Universität Toulouse - Jean Jaurès, CREG)
- Univ.-Prof. Dr. Werner Michler (Paris Lodron Universität Salzburg)