Rencontre avec Michel Decar

Publié le 11 mars 2014 Mis à jour le 26 janvier 2023
du 19 mars 2014 au 20 mars 2014 La Fabrique, UTM

à l’occasion de la publication et de la représentation de sa pièce Waldemarwolf

L’auteur dramatique Michel Decar (Berlin) sera à Toulouse pour la publication et la représentation de sa pièce Waldemarwolf (19-20. 03. 2014, La Fabrique, UTM). Il dialoguera avec le public le soir de la première, le 19.03.

Spectacle en allemand surtitré. Réservations: universcenes@gmail.com.

La parution et la représentation de la pièce de Michel Decar s’inscrivent dans le cadre des travaux du Centre de Recherches et d’Études Germaniques (CREG/ EA4151) sur les notions d’héritage et de transmission.





Recension

L’archétype comme vide spacieux –

Première représentation française de la pièce de Michel Decar, Waldemarwolf (2010), sur la scène de la Fabrique culturelle de l’Université Toulouse 2 - Le Mirail, le 19 mars 2014.

De la mise en scène audacieuse de Thomas Niklos, scandée par les chorégraphies de Frédéric Jolivet, ressort une qualité de transparence présente dans le corps écrit de la pièce. On a évoqué, lors du premier bord de scène en compagnie de l’auteur, le caractère dense et stéréotypique des personnages de Cornelius Crabe, Mine, Boy Hornbach et Mlle Schneider, qui précipite autant qu’il empêche l’identification du spectateur/lecteur. Rien de nouveau en la matière si l’on invoque le seul théâtre brechtien ; l’intérêt, sinon l’enjeu d’une telle mise en scène ne réside pas tant dans son exploitation de la puissance symbolique de l’œuvre que dans la création d’un milieu doué de ses propres règles, de ses propres lois physiques, et dont la réactivité éprouvée par les multiples jeux (plusieurs acteurs incarnent le même personnage, sensiblement vêtus du même costume) sert un discours tacite, une danse invisible dont les tracés sont autant de pointeurs vers une réalité dépourvue de centre. Il n’aura en effet que rarement été si facile de traverser un rôle de part en part, d’y demeurer, de s’identifier à tel ou tel de ses traits, puis de le jeter, plein de joie vide. On en vient à contempler non pas des figures, l’ennui guettant au moindre soubresaut de chronique psychologique, mais des lieux mutables, à la mémoire fluide et réinscriptible. Tel un cristal baroque, l’action innerve l’espace de rets, déploie cuivres et ondes, mais ne laisse pas de trace. La répétitivité du style aidant, chacun est invité en lui-même à se défaire de ses marqueurs : temporels, spatiaux, personnels. De cette expérience scénique, on ne tire pas une quelconque somme narrable, mais une trame infinie, un espace potentiel pur deviné par l’œil d’une statue grecque, ceint de vide, afocal.

Comme Alice qui ne gagne pas en maturité à la fin de son voyage, aucun des personnages ne se départit de ses éléments de structure lourde (Cornelius est un indécis, Mine une âme égarée, Hornbach un mufle, Mlle Schneider, une seringue) ; mieux encore, leur développement historique prend pour certains la forme de la mort, pour d’autres celle d’une stase existentielle, d’une disparition et dans tous les cas d’une suspension : suspension de la vie biologique par l’euthanasie, suspension biographique par un emmurement routinier, natalisant, ou un simple pas de côté ; ainsi d’une photo d’identité que l’on sort de son portefeuille dédié, et déchire. “Et maintenant ?” On assiste au meurtre serein du devenir : qui peut dire du sort de Cornelius s’il est enviable ou désespérant ? Que notre doux rêveur s’est retiré en lieu sûr, ou qu’il se prive d’un épanouissement douloureux mais nécessaire ? Suspension des questions liées au devenir, fin du discours biographique, il ne reste que l’espace. C’est là toute la force de l’écriture de Decar : dépouillée, elle ne présente ni découpage ni indications scéniques, pour la plus grande liberté du metteur en scène, et a fortiori du traducteur. Il faut à ce propos saluer l’inventivité des équipes théâtrale et éditoriale à l’alpha de cette naissance française, et témoigner de la gratitude du traducteur : pour cette vision de l’indéterminé, pour ce bain de ténèbres réconfortantes.
 
Tristan Kuipers
Spectateur, traducteur
Collectif HERMAION